Au sein d’une entreprise, l’action en justice du CSE est généralement consécutive à un rapport de force avec l’employeur. C’est habituellement le dernier recours des élus quand toutes les autres solutions ont échoué.
- Quelle est la capacité juridique du CSE ?
- Quels sont ses possibilités et ses moyens pour mener une action en justice ?
- Est ce que le CSE peut porter plainte ?
Dans cet article, nous vous présenterons toutes les informations qu'il est nécessaire de connaître et vous donnerons quelques exemples d’action en justice menée ou rendue possible par des CSE.
Quelle est la capacité juridique du CSE ?
La capacité juridique du CSE dépend du nombre de salariés dans l’entreprise.
La capacité juridique du CSE dans les entreprises d’au moins 50 salariés
Selon l’article L.2315-23 du Code du travail, le CSE est doté de la personnalité civile, dite aussi personnalité morale, dans les entreprises d’au moins 50 salariés.
Il a ainsi la possibilité de passer des actes juridiques en son nom et a le droit d’agir en justice pour faire prévaloir ses droits auprès de l’employeur, d’un salarié, d’un autre élu ou encore d’un fournisseur.
Cependant, pour pouvoir le faire, le CSE doit pouvoir démontrer un intérêt à agir c’est-à-dire une atteinte à ses intérêts personnels et actuels.
Il peut agir en justice pour protéger son fonctionnement, ses prérogatives et ses moyens ou encore son patrimoine, comme défini dans l’article L2312-8 du Code du travail.
- Dans les entreprises de plus de 50 salariés, les CSE d’établissements (Article L.2316-25 du Code du travail) ainsi que le CSE central (Article L2316-13 du Code du travail) possèdent la personnalité juridique.
- La Commission Santé, Sécurité et Conditions de Travail ne peut pas intenter une action judiciaire.
La capacité juridique du CSE dans les entreprises de moins de 50 salariés
Le CSE des entreprises de moins de 50 salariés n’a pas de personnalité morale. De fait, comme indiqué dans l’article L.2315-19 du Code du travail, il ne peut agir qu’à titre individuel. Les élus exercent ainsi individuellement les droits qui sont reconnus au comité, comme défini dans l’article L.2312-5 du Code du travail.
Le CSE ne peut pas exercer d’action en justice au nom des salariés contrairement aux organisations syndicales (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 17 novembre 2015, 14-13.072).
Par contre, s’il a signé un accord collectif, le CSE peut agir pour obtenir l’application de celui-ci ou l’indemnisation du préjudice subi suite à son inexécution.
Devant quelles juridictions le CSE peut-il agir ?
Le CSE peut agir devant toutes les juridictions existantes. C’est en réalité l’objet du litige qui détermine le tribunal compétent.
Le tribunal correctionnel :
- En cas d’entrave à son fonctionnement. Par exemple, le non-paiement des heures de délégation ou l’opposition à leur usage alors que leur utilisation est régulière, le fait pour l’employeur de se faire représenter par un salarié qui n’a ni les qualités ni les pouvoirs pour informer et consulter le CSE, le refus de mettre à disposition un local pour le CSE ou si celui-ci ne correspond pas à ses exigences… (Article L.2317-1 du Code du travail)
- En cas de non-établissement et non-présentation du bilan social. (Article L.2317-2 du Code du travail)
- En absence d’accord sur les consultations dans les entreprises et établissements distincts de minimum 300 salariés.
Le tribunal de commerce :
Dans le cadre de procédures de redressement et de liquidations judiciaires.
Le tribunal administratif :
- Pour demander l’annulation de certains actes administratifs (par exemple, le cas d’un licenciement d’un salarié protégé sans consultation du CSE).
- Dans le cas de contestation d’homologation ou de validation d’un plan de sauvegarde de l’emploi par la Direction Régionale de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités.
Le conseil de prud’hommes :
Pour des litiges opposant le CSE à ses propres salariés.
Le tribunal judiciaire :
Pour des problématiques portant sur :
- Les attributions économiques.
- Les activités sociales et culturelles.
- Les budgets pour obliger par exemple l’employeur à les verser.
- La suspension ou l’annulation des décisions de l’employeur.
- L’exécution forcée des obligations de l’employeur.
- Les recours à l’expertise pour demander, par exemple, la transmission des documents obligatoires à l’exercice de la mission de l’expert.
- Les contentieux relatifs aux élections.
- Etc.
À noter : Même si la majorité des actions en justice du CSE sont dirigées contre l’employeur, le CSE peut également agir contre des tiers, comme dans le cadre d’une relation contractuelle. Par exemple, contre une agence de voyages (CA Douai, 25 février 2016, n°15/01620) ou sa banque (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 11 juin 2002, 99-16.748)
Comment les élus peuvent-ils porter une action en justice du CSE ?
La procédure pour porter une action en justice pour un CSE comporte plusieurs étapes qu’il est important de suivre pour que celle-ci puisse être recevable.
Étape 1 : Voter la décision d’engager une action en justice.
Avant toute chose, il est nécessaire d’organiser un vote sur la décision d’engager une action en justice. Pour cela, il faut inscrire cette question à l’ordre du jour d’une réunion du CSE.
Si la procédure n’est pas correctement suivie, la délibération, et ce même si elle est votée à l’unanimité, est irrégulière (Cour de cassation, Chambre criminelle, 5 septembre 2006, nº 05-85.895). De fait, l’action en justice pourra être rejetée.
Étape 2 : Donner un mandat.
Pour pouvoir porter une action en justice, le CSE doit auparavant désigner un ou plusieurs de ses membres pouvant agir en son nom. Il faut également lui attribuer un mandat précis afin d’éviter que l’action en justice ne soit déclarée irrecevable.
Le mandat doit être prévu dans le règlement intérieur du CSE ou formalisé par une délibération des élus en réunion.
La délibération donnant le mandat à l’un des membres du CSE est votée à la majorité des suffrages exprimés. Elle doit être consignée par le secrétaire dans le procès-verbal (Article L.2315-34 du Code du travail).
Bien qu’il ne soit pas obligatoire d’inscrire à l’ordre du jour l’intention d’aller en justice, le mandat doit avoir un lien avec un point à l’ordre du jour. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 avril 2019, 17-31.304).
Il existe 2 types de mandats :
- Un mandat général qui est valable de façon permanente.
- Un mandat spécial qui est valable pour un cas déterminé.
Modèles de délibération instituant un mandat général pour agir en justice.
Le comité social et économique [dénomination sociale de l’entreprise] dont le siège est : [adresse du CSE].
A décidé de donner pouvoir à : monsieur ou madame [nom, prénom], en sa qualité de [membre du CSE ou fonction] pour le représenter en justice dans toutes les actions en demande ou en défense, tant au civil qu’au pénal.
Monsieur ou madame [nom, prénom] pourra, en cas de besoin, se faire remplacer par monsieur ou madame [nom, prénom], en sa qualité de [membre du CSE ou fonction].
Il ou elle pourra également se faire assister par un avocat.
Modèles de délibération instituant un mandat spécial pour agir en justice.
Le comité social et économique [dénomination sociale de l’entreprise] dont le siège est : [adresse du CSE].
A décidé de donner pouvoir à : monsieur ou madame [nom, prénom], en sa qualité de [membre du CSE ou fonction] pour engager une action [à préciser] devant le [indiquer la juridiction] de [indiquer le lieu] dans l’action opposant le CSE à [préciser la partie adverse].
Facultatif. Monsieur ou madame [nom, prénom] transmettra les résultats de l’action au CSE qui décidera des suites éventuelles à donner.
Facultatif. Monsieur ou madame [nom, prénom] pourra se faire assister par un avocat : [nom et coordonnées de l’avocat].
Facultatif. Monsieur ou madame [nom, prénom] pourra exercer, si besoin, toutes les voies de recours utiles.
Étape 3 : Remettre le mandat au juge.
La remise du mandat au juge ne se fait pas au même moment en fonction de sa juridiction.
Pour le juge pénal : Le mandat doit être présenté dès l’introduction de l’action en justice, car il ne sera pas possible de l’introduire ensuite.
Pour le juge civil : Le mandat ne doit pas être obligatoirement fourni avant l’introduction de l’action en justice. Il faut juste pouvoir le présenter avant que le juge ne statue.
Mis à part de rares exceptions, en cas d’action en justice, le recours à un avocat est obligatoire.
Nous vous recommandons fortement l’assistance d’un avocat qui paraît essentiel pour juger de la recevabilité de l’action en justice que vous souhaitez présenter et vous conseiller au mieux sur la procédure et les documents à fournir.
Qui finance l’action en justice du CSE ?
En règle générale, les contrats conclus avec la banque du CSE ou les assureurs incluent le bénéfice d’une protection juridique. Si cela est bien le cas, les frais d’huissier, d’expertise et autres sont souvent pris en charge par l’assureur.
De même que les honoraires d’avocat qui peuvent être en partie remboursés.
Selon l’objet de l’action, ces frais seront pris sur le budget de fonctionnement (budget AEP) ou celui des activités sociales et culturelles.
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Exemples d’actions en justice du CSE contre leur entreprise pour fraude ou évasion fiscale
Par quels moyens le CSE peut-il suspecter une fraude ?
Le CSE, de par ses attributions, dispose d’une vue d’ensemble sur la gestion de l’entreprise lors des trois consultations obligatoires récurrentes concernant la situation économique et financière, les orientations stratégiques et la politique sociale de l’entreprise ainsi que lors de sa mission de contrôle de la participation.
Pour cela, il peut faire appel à un expert-comptable indépendant. Celui-ci est alors chargé d’évaluer la situation de l’entreprise ou d’effectuer un diagnostic de faits préoccupants qu’il rédigera dans un rapport.
De plus, il possède des obligations dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, y compris le blanchiment de fraude fiscale.
Cas de l’action en justice du CSE de McDonald’s
En 2022, Capital a publié un article concernant la société McDonald’s qui devra verser au Trésor Public français 1,1 milliard d’euros suite à un accord pour clôturer une enquête pour fraude fiscale.
Cette somme validée dans une Convention judiciaire d’intérêt public correspond en fait à une amende de 737 millions d’euros et à un redressement de 503 millions d’euros.
À noter : Une Convention judiciaire d’intérêt public est, selon la définition de l’Agence Française Anticorruption, « une procédure, permettant au procureur de la République de conclure une convention judiciaire d’intérêt public avec une personne morale mise en cause pour des faits d’atteintes à la probité.
Cette mesure alternative aux poursuites est applicable aux entreprises, associations, collectivités territoriales, etc. mises en causes pour des faits de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et toute infraction connexe. »
En effet, en 2019, McDonald’s a mis en place un nouveau système prévoyant de faire passer le montant des redevances payées par les restaurants en France de 5 à 10 % de leur chiffre d’affaires. Ces sommes sont alors reversées à mcD Europe Franchising SARL qui est une société luxembourgeoise succursale de la maison mère américaine McDonald’s Corporation. Cette manœuvre permettait ainsi de bénéficier d’un taux d’imposition de moins de 1 %. En faisant cela, McDonald’s diminuait son revenu imposable en France pour l'augmenter au Luxembourg.
Dans cette affaire, c’est le CE d’une filiale qui a déposé plainte, suite à une expertise comptable, pour blanchiment de fraude fiscale en bande organisée via leur avocate. Suite à cela, la CGT et le Trésor Public français se sont associés à leur plainte, ce qui a abouti à l’accord vu précédemment. Pour aller plus loin : 1,25 milliards d'amende pour McDonald's
À noter : Si le CE a pu agir, c’est qu’il avait intérêt à agir en tant que signataire de l’accord de participation. En effet, McDonald’s en diminuant son revenu imposable baissait également son montant du bénéfice net, élément primordial dans le calcul de la participation. Cela a aussi privé les salariés d’une prime de participation et d’un treizième mois suite à des comptes faussement déficitaires.
Cas de l’action en justice contre General Electric grâce au CSE
Le Trois, qui est un média d’actualité, a révélé que les syndicats Sud Industrie et CFE-CGC de l’entité turbines à gaz de General Electric ont saisi le Parquet National Financier, avec le soutien des ONG Attac et Oxfam, pour blanchiment de fraude fiscale, recel, faux et usage de faux et abus de confiance.
De plus, le syndicat Sud Industrie a assigné General Electric devant le Tribunal judiciaire de Belfort pour fraude au droit à la participation des salariés.
En effet, depuis 2015, le secrétaire du CSE, Philippe Petitcolin, considère que la filiale française de General Electric a établi un « déficit artificiel » en utilisant les mécanismes des prix de transfert, de redevance de marque et de technologie. Cela lui a permis de ne pas payer d’impôt depuis 10 ans et « de justifier la modération salariale, la baisse des investissements en R&D et en production, des délocalisations en Inde, en Hongrie et aux États-Unis ainsi qu’un PSE en 2019 ayant visé 792 emplois ».
Ces différentes plaintes ont pu être déposées grâce au CSE de General Electric EPF (GE) qui a lancé deux procédures d’alerte économique et a demandé plusieurs expertises sur une durée de 4 ans. Selon celles-ci, entre 500 millions et 1 milliard d’euros de bénéfices ont été retirés de la filiale française.
En conclusion, le CSE a des droits qu’il doit savoir faire respecter. De plus, il représente une véritable force utile aux salariés et dans certains cas à la collectivité. Pour cela, il est important de bien connaître les outils et les règles qui permettent de mener une action en justice du CSE réussie.
Avis de non responsabilité : Cet article de blog est destiné à des fins d'information uniquement et ne constitue pas des conseils juridiques spécifiques. Les lecteurs doivent discuter de leur situation particulière avec un avocat ou professionnel du droit.