Dans le cas des dossiers d’indemnisation pour un accident du travail ou une maladie professionnelle, il y a toujours plusieurs explications possibles, de la défaillance de matériel au défaut de vigilance. Et l’une des explications possibles est la responsabilité directe de l’employeur qui a manqué à son obligation de protection de la santé et sécurité au travail. On parle alors de “faute inexcusable de l’employeur”.
C'est une notion importante à connaitre en tant que membres du CSE.
Malheureusement, les conséquences de la faute inexcusable de l’employeur sont systématiquement l'accident avec blessure ou la maladie professionnelle. Dans les cas extrêmes, ce peut être le décès de l’employé.
Si la faute inexcusable de l’employeur est avérée, les conséquences peuvent être lourdes en termes d’indemnisation et de condamnation de l’employeur. Cet article donne la définition, le contexte, les démarches et l’indemnisation si un tel cas est avéré.
Quelle est la définition de la faute inexcusable de l'employeur ?
Dans le droit français, le terme juridique de 'faute inexcusable de l’employeur' se réfère au manquement avéré (intentionnel ou non) de l'employeur à ses obligations envers ses salariés.
Généralement, une faute inexcusable de l’employeur est associée à une violation du droit du travail, ou à une négligence de l’employeur qui a conduit à la mise en danger de la sécurité et de la santé d’un ou de plusieurs employés.
Car rappelons que l’employeur a une obligation légale et contractuelle de veiller au respect des règles de santé et de sécurité au travail. Par ailleurs, ces règles dépassent le simple champ de la sécurité physique et incluent la protection contre la discrimination, le harcèlement, les sanctions abusives, etc.
La loi ne donne pas une définition précise de la faute inexcusable, mais plutôt un contexte de négligence ou de manquement, dont c’est à la victime de prouver et d’établir la réalité.
Les circonstances, le contexte, le préjudice et les éléments de preuve sont donc essentiels pour qualifier juridiquement une faute inexcusable de l’employeur, car si elle est avérée, l’employeur sera condamné et la victime admissible à des indemnités supplémentaires, y compris au pénal.
L'article L452-1 du Code de la sécurité sociale stipule que : "Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit bénéficient d'une indemnisation complémentaire dans les conditions déterminées par la présente sous-section." (Source : Légifrance)
De plus, la Cour de Cassation définit la faute inexcusable de l’employeur comme : « en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver » (Cass., soc. du 28 février 2002, n°99-18.389).
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Nous vous aidons dans votre rôle de représentant du personnel. Exemples de thématique :
- Rôle du CSE en cas d’accident du travail et de maladie professionnelle
- Que faire lorsque les membres du CSE se sentent démunis ou non écoutés
- Outils à utiliser pour une démarche de prévention
- Comment lutter contre les souffrances au travail
Exemples de fautes inexcusables de l’employeur
C’est à la victime de rassembler les éléments de preuve de négligence ou de manquement de l’employeur par rapport à ses obligations. Concrètement, on parle ici d’un employeur qui avait connaissance d’un danger pour les salariés et qui n’a pas pris les mesures pour les protéger, peu importe la raison.
À titre d’exemple, un employeur qui expose ses salariés à des conditions de travail dangereuses (risques de chutes en travail sur toiture, risque de chocs électriques, risque d’intoxication…) mais
- Ne fournit pas les équipements de protection.
- Ne met pas en place les dispositifs de prévention.
- Ne forme pas les salariés à l’utilisation de machines dangereuses.
- N’entretient pas les machines pour les mettre aux normes sanitaires ou électriques, sachant que ces risques existent, est coupable d’une faute inexcusable.
Dans un registre un peu moins évident, si par exemple l’employeur ne prend pas de mesures appropriées pour prévenir le harcèlement sur le lieu de travail, la faute inexcusable de l’employeur peut être évoquée.
De manière générale, l’employeur est réputé connaître l’ensemble des risques professionnels pour la santé et la sécurité de ses employés, et a l’obligation de les prévenir.
Exemples de cas de jurisprudence concernant la faute inexcusable de l’employeur
De nombreux exemples de litiges concernant la faute inexcusable de l’employeur sont disponibles dans la jurisprudence. Nous vous en donnons quelques-uns afin de vous faire une idée plus précise de situations déjà tranchées.
Attention cependant à bien prendre en compte que chaque cas est unique et ne s’applique pas forcément à votre situation.
Dans les exemples ci-dessous, la faute inexcusable de l’employeur a été reconnue :
- Un salarié qui est tombé dans un escalier qui ne possédait pas de rampe. L’absence de rampe n’ayant pas été considérée par l’employeur comme un risque (Cass. civ. 2 du 22 janvier 2009, n°07-21.222).
- Un salarié ayant fait un infarctus suite à une ambiance de travail stressante, de surmenage et de pressions dû à une réorganisation de son lieu de travail (Cass. civ. 2, du 8 novembre 2012, n°11-23.855).
- Un salarié décédé suite à un accident de travail, lors d’une manœuvre, dû à un manque de formation de lui-même et de son chef aux risques de cette opération (Cass. soc., du 11 mai 2000, n°98-19.396).
- Un salarié victime d’agression physique, alors que plusieurs autres faits de même nature avaient eu lieu dans les 20 derniers mois (Cass. civ. 2, 8 octobre 2020, n°18-25.021).
- Un salarié agricole victime d’intoxication suite à une durée d’exposition à un produit largement supérieure aux normes prescrites (Cass. soc., 3 novembre 1988, n°87-10.602).
Qu’est-ce que la faute inexcusable de la victime ?
Tout comme il existe juridiquement une faute inexcusable de l’employeur, il existe sa contrepartie : la faute inexcusable de la victime.
Celle-ci relève du comportement du salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
- Si le salarié a été correctement formé, si des consignes de sécurité sont clairement mises en place, et des équipements de protection mis à disposition, cela signifie que le salarié est censé faire preuve de diligence et appliquer les mesures de sécurité prévues pour son poste.
- Si le salarié les contourne ou ne les applique pas de manière volontaire, il met lui-même sa sécurité (et celle de ses collègues) en danger et c’est sa responsabilité individuelle qui est engagée. L’employé commet alors une faute.
En cas d’accident, si la faute inexcusable de la victime est reconnue, l’indemnisation peut être réduite.
Quelle différence entre une faute inexcusable et une faute intentionnelle ?
Le concept de faute inexcusable et de faute intentionnelle est proche, mais appartient à deux compétences juridiques différentes. L’une concerne le droit du travail, l’autre le droit pénal.
La faute inexcusable de l'employeur est liée aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. Si l’employeur est reconnu coupable, il devra verser des indemnités supplémentaires.
La faute intentionnelle va plus loin dans la responsabilité de l’employeur, puisqu’elle suppose que celui-ci a non seulement fait preuve de négligence, mais qu’il a délibérément fait en sorte de causer un préjudice au salarié. La notion d’intention de nuire est sous-jacente.
À noter : La faute inexcusable est donc associée à une négligence ou un manquement, tandis que la faute intentionnelle concerne des actes délibérés visant à causer un préjudice.
Démarches : comment porter plainte et prouver une faute inexcusable de l’employeur ?
Un employé victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est en droit de porter plainte contre son employeur pour faute inexcusable si les conditions sont réunies pour l’amener à une telle conclusion.
La démarche se fait donc dans le cadre de la déclaration d'accident du travail ou de maladie professionnelle, qui va notamment ouvrir les droits à la réparation des préjudices.
Quelle est la procédure de faute inexcusable de l'employeur ?
- Il faut en premier lieu que la caisse d'assurance maladie approuve la qualification d'accident du travail ou de maladie professionnelle.
- Dans un second temps, il faudra déposer une demande de reconnaissance de faute inexcusable auprès de la caisse régionale d'assurance maladie (CRAM).
- Le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRMPP) se réunira pour examiner la demande, et émettra un avis.
- En cas de désaccord avec l’avis du CRMPP, le salarié peut saisir le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS).
Pour cette démarche, bien que cela ne soit pas obligatoire, il est fortement conseillé de faire appel à un avocat spécialisé en droit du travail ou en droit de la sécurité sociale. L'employeur, lui, aura un avocat.
C’est à la victime de prouver la faute inexcusable.
Quelle preuve doit apporter la victime ?
En cas de maladie professionnelle, le salarié doit prouver qu’il a été exposé au risque qui a causé la maladie professionnelle (inhalation, port de charges lourdes, etc.)
En cas d’accident du travail, le salarié doit prouver les circonstances de l’accident.
La reconnaissance de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle par la CPAM n’est pas forcément suffisante pour prouver la faute inexcusable de l’employeur.
De plus, le salarié peut ajouter dans son dossier les éléments qui montrent que l’employeur avait connaissance du danger, suite à un signalement par un salarié ou un représentant du personnel, et qu’il n’a pas agi (article L.4131-4 du Code du travail).
Enfin, il est recommandé dans la mesure du possible d’apporter les preuves que l’employeur a été négligent en n’effectuant pas les actions appropriées pour protéger les salariés.
À noter : Si le salarié a apporté suffisamment de preuves sur les circonstances ou les conditions dans lesquelles l’accident ou la maladie est survenu, alors c’est à l’employeur de prouver qu’il a respecté toutes les règles de sécurité.
Sont recevables comme éléments de preuve :
- Les documents envoyés par la sécurité sociale indiquant la reconnaissance de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, et le taux d’incapacité fixé, si applicable.
- Les rapports d'inspection, audits internes ou documents internes attestant que l'employeur était informé des dangers potentiels.
- Les déclarations ou témoignages de collègues.
- Les rapports médicaux qui établissent un lien direct entre les conditions de travail et les dommages subis par le salarié.
- Des photos ou vidéos mettant en évidence l'absence de mesures de protection et de prévention.
- Tout document pouvant servir de preuve que l'employeur n'a pas fourni une formation adéquate, n’a pas procédé à l’entretien d'équipements malgré les risques de sécurité, a refusé de fournir des équipements de protection obligatoire, n’a pas respecté les normes et réglementations.
- Outre ces preuves apportées par la victime, le comité prendra en compte les antécédents de l’employeur, afin d’essayer d’établir un historique de non-respect de ses obligations de sécurité.
Important : Ces documents et preuves ne peuvent être obtenus que de manière légale. Si le salarié n’y a pas accès, il peut mentionner dans sa déclaration au comité que les documents existent, et le comité pourra faire la demande auprès de l'employeur pour que ces documents lui soient remis.
Le CSE de l’entreprise peut être consulté dans le cas de cette démarche pour le rassemblement de documents probants.
Attention : Dans deux situations bien précises, le salarié n’a pas besoin d’apporter la preuve de la faute :
- Dans le cas où le risque avait déjà été signalé par le CSE ou la victime.
- Dans le cas où la victime est en CDD, en intérim ou en stage et qu’elle n’a pas participé à un stage de formation à la sécurité.
Faute inexcusable de l'employeur : quel délai pour agir ?
Si les démarches entreprises via la CRAM n’aboutissent pas, le salarié victime a la possibilité de saisir directement le pôle social du tribunal judiciaire (TJ).
L’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur est soumise à un délai de prescription de 2 ans.
Ce délai commence à courir :
- Pour les maladies professionnelles, à partir de la première constatation par le médecin traitant de la maladie (certificat médical du lien possible entre la maladie et l’activité professionnelle) OU à partir de la date de fin de paiement des indemnités journalières MP.
- Pour les accidents du travail, à partir du jour de l’accident OU de la date de fin de paiement des indemnités journalières AT.
L'évènement qui doit être retenu étant le plus récent.
Plusieurs raisons peuvent interrompre ce délai :
- Une action pénale.
- Une action en reconnaissance du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie.
- Une action prud’homale engagée par la victime en cas de demande d’indemnisation d’un préjudice résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
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Quel est le montant d’indemnisation pour faute inexcusable de l'employeur ?
Si l’employeur est reconnu coupable de faute inexcusable ayant entraîné un accident du travail ou une maladie professionnelle, la victime (ou ses ayants droits en cas de décès) ont droit à une indemnisation complémentaire, en compensation du préjudice physique, moral, esthétique, psychologique…
Par ailleurs, la rente d’incapacité sera majorée (montant calculé en fonction du taux d'incapacité de la victime). Le montant de cette majoration est fixé selon les modalités prévues par l'article L. 452-2, al. 2, 3 et 4 du code de la sécurité sociale.
Un simulateur d’indemnité en ligne est accessible sur https://avf.fr/accident-maladie-travail/simulateur-indemnisation/.
On trouve dans la jurisprudence et plusieurs forums quelques exemples de montant d’indemnisation faute inexcusable de l'employeur, pouvant aller de quelques centaines d’euros à… plusieurs centaines de milliers d’euros lorsque les circonstances sont aggravées (il y a alors une condamnation pénale).
Selon la gravité de la faute de l’employeur, des poursuites peuvent s’ensuivre sur le plan pénal, pour mise en danger de la vie d'autrui.
De son côté, l’inspection du travail mettra en demeure l’employeur de se conformer aux règles de sécurité au travail, et peut aller jusqu’à fermer temporairement ou définitivement l’entreprise ! L’employeur pourra être condamné à verser des amendes ou des astreintes.
Faute inexcusable de l’employeur et CSE
Le CSE peut avoir différents rôles dans le cadre de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
Élus CSE et preuves de l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur
Les élus du CSE bénéficient d’une protection et ont accès à de nombreux documents, de plus ils ont connaissance de nombreuses informations qui peuvent être utiles aux salariés dans cette situation.
Ces derniers pourront donc les solliciter afin d’obtenir des témoignages et/ou des documents (par exemple, PV de réunion) qui leur seront nécessaires dans le cadre de l’apport de preuves.
De plus, ils pourront apporter leurs conseils aux salariés.
Faute inexcusable de l’employeur et droit d’alerte du CSE
L’article L.4131-2 du Code du travail, rappelle qu’un élu CSE qui constate une cause de danger grave et imminent, ou qui en est informé par un salarié, alerte immédiatement l’employeur.
Si suite à cette alerte, l’employeur n’agit pas, alors son inaction peut conduire à la reconnaissance d’une faute inexcusable en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
En effet, l’article L.4131-4 du Code du travail précise : « Le bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur prévue à l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale est de droit pour le ou les travailleurs qui seraient victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle alors qu’eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité social et économique avaient signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé. »
En conclusion, les élus du CSE peuvent avoir un rôle à jouer dans la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur dans le cadre d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail. Il est donc primordial pour les élus de bien comprendre cette notion afin de pouvoir aider au mieux les salariés.