Intelligence artificielle au travail : rôle du CSE dans l’IA

L'intelligence artificielle (IA) va transformer la façon de travailler de millions de salariés. Il est donc nécessaire de pouvoir s’adapter aux changements actuels, mais aussi d’anticiper les changements futurs.

  • Quelle est la place du CSE dans le déploiement de l’intelligence artificielle ?
  • Comment le CSE peut-il protéger les salariés ?
  • Quelles limites et défis à venir ?

Dans cet article, nous faisons le point sur les connaissances à avoir sur l’intelligence artificielle et sur les rôles que vont devoir jouer les élus dans son développement dans le monde du travail.

Lien entre l'IA et CSE

L’intelligence artificielle (IA) : définitions et applications

L’intelligence artificielle, ou IA, est un domaine de l’informatique qui permet la réalisation de tâches pouvant être complexes, par des systèmes nécessitant habituellement l’intelligence humaine.

Pour cela, l’IA, qui n’est pas une technologie autonome, nécessite de posséder des règles préétablies.

Dans le monde du travail, on la retrouve dans des services de type :

  • production ;
  • service client ;
  • service après-vente ;
  • ressources humaines.

L'IA peut servir à :

  • Automatiser des tâches répétitives.
  • Effectuer de la maintenance prédictive.
  • Gérer des équipements.
  • Analyser des données, voire faciliter la prise de décision.

Les risques de l’IA pour les salariés

L’intelligence artificielle au fur et à mesure de son implémentation dans les entreprises va créer de nouveaux rôles et nécessiter des compétences nouvelles. Ces conséquences sont encore inconnues de nos jours, mais se dessine déjà deux scénarios.

Ainsi, certains salariés vont :

  • Subir une déqualification de leur poste qui sera effectué pour tout ou partie par l’intelligence artificielle.
  • Profiter d’une montée en qualification afin de superviser les actions des IA.

Dans les faits, on observe une recrudescence de plans sociaux dont la justification est le gain de performance lié à l’IA. 

Le rapport de la commission sur le recours à l’IA et le dialogue social en entreprise

C’est pourquoi, en août 2023, Elisabeth Borne a mis en place une commission sur l’intelligence artificielle.

Le 13 mars 2024, un rapport a été établi par la Commission sur l’Intelligence Artificielle pour renforcer la position de la France en matière d'IA. Dans une partie réservée à la Direction Générale du Travail, 25 recommandations ont été émises sur les modalités des mesures envisagées.

Parmi celles-ci, se trouvent notamment 2 recommandations qui intéressent les élus du CSE :

  • Une concernant la rédaction d’un accord national interprofessionnel (ANI) sur l’IA.
  • Une autre sur l’évolution du Code du travail en l’absence d’information-consultation du CSE sur l’IA par les entreprises.

Dans ce rapport figure également un point sur le rôle actuel du CSE en lien avec l’IA qui relève que « Le droit à l’information et l’avis éclairé des représentants des salariés sur les transformations au travail sont en pratique peu mobilisés par les entreprises et les administrations. Cela tient à ce que l’intelligence artificielle et le numérique en général sont présentés comme des sujets techniques avant tout (…) ».

C’est pourquoi la commission souligne que l’évolution du Code du travail mentionnée ci-dessus permettrait de faire du dialogue social « un outil de co-construction des usages et de régulation des risques des systèmes d’intelligence artificielle ».

À noter  : En parallèle, le Conseil de l’Europe a adopté le 17 mai 2024 un Traité international sur l’IA et les États de l’Union Européenne ont approuvé le 21 mai 2024 un Règlement européen sur l’intelligence artificielle.

Ces cadres réglementaires ont pour but de :

  • Interdire l'utilisation de certaines pratiques.
  • S’assurer du respect des droits fondamentaux des salariés par les systèmes d’IA.
  • Exiger l’implémentation de sécurité spécifique pour les systèmes d’IA à haut risque.
  • Harmoniser les règles liées à l’IA pour les systèmes qui interagissent avec les personnes.

Les avancées de certaines branches

Pour répondre à cette nouvelle technologie, en 2020, la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) a fait élaborer par le Learning Lab Human Change un livre blanc intitulé « Risques et opportunités de l’Intelligence Artificielle dans la métallurgie ».

Ce livre blanc formule des recommandations, par exemple :

  • « Former les partenaires sociaux à une culture IA.
  • Partager l’information sur la data avec les partenaires sociaux.
  • Partager avec les partenaires sociaux la stratégie IA de l’entreprise.
  • Co-construire avec les partenaires sociaux un cadre de confiance et une réflexion sur l’éthique de l’IA  ».

À la lecture de ce livre blanc, on constate que le laboratoire souligne l’importance du dialogue social dans l’accompagnement des mutations au travail liées à l’IA afin d’accompagner les salariés vers une transition positive.

Les premiers impacts de l’IA sur les emplois

Une étude du Fonds Monétaire International prévoit qu’environ 40 % de l’emploi mondial va subir des transformations liées à l’IA.

En effet, dans certains scénarios, il est possible d’anticiper la disparition des emplois de bureau et de production peu qualifiés notamment, et une mutation des postes de travail des salariés qualifiés qui travailleront avec l’IA.

Les premiers cas concrets des effets de l’IA apparaissent déjà dans quelques entreprises.

  • En mai 2023, le CEO d’IBM a indiqué vouloir supprimer 7 800 emplois remplacés par des solutions d’intelligence artificielle ou des logiciels d’automatisation d’ici à 2028.
  • En mars 2024, IBM a annoncé une réduction de 5 % de ses effectifs en France, soit environ 200 emplois dans ses fonctions supports. L’entreprise parle cependant d’en recruter autant, mais dans des fonctions liées à l’IA et au Cloud.
  • En janvier 2024, c’est l’entreprise Onclusive qui a mis en place un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) en supprimant 217 postes remplacés par l’IA.

Formation SSCT obligatoire

Nous vous aidons dans votre rôle de représentant du personnel. Exemples de thématique :  

  • Attributions du CSE dans le domaine de la santé et de la sécurité
  • Savoir réaliser des inspections et analyser des situations à risques
  • Document unique et risques professionnels avec un atelier pratique

Licenciement économique et nouvelle technologie : une fatalité ?

En théorie, une entreprise qui met en place de nouvelles machines, technologies ou systèmes permettant l’automatisation et/ou la suppression de tâches, peut avoir recours au licenciement économique pour mutation technologique.

À noter  : Une nouvelle technologie est, par définition, une technologie qui n’était pas utilisée précédemment. Dans ce cas de figure, une consultation du CSE est nécessaire, car sa mise en place va nécessiter des adaptations de poste et/ou des formations pour les salariés.

De plus, son implémentation va potentiellement affecter les conditions de travail.

Les premiers impacts de l’IA sur les emplois

Quel type de nouvelle technologie peut justifier un licenciement économique ?

Un arrêt de la Cour de cassation (Chambre sociale, du 13 mai 2003, n°00-46.766) a rappelé le cadre nécessaire au licenciement économique pour mutation technologique.

En effet, pour être valable, la qualification d’innovation technologique doit concerner une réelle nouveauté. C’est-à-dire qu’un simple remplacement de logiciel par un autre ne permet pas d’utiliser ce motif.

C’est donc bien l’état antérieur d'avancée technologique de l’entreprise qu’il faut prendre en compte. 

Qu’en est-il de la formation des salariés ?

Avant d’envisager un licenciement économique pour mutation technologique, l’employeur doit avoir envisagé la formation et l’adaptation des salariés à l’évolution de leur poste de travail.

En effet, l’article L.6321-1 du Code du travail indique bien que : 

  • L'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.
  • Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. 
  • Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques.

Ainsi, l’employeur qui souhaite recourir aux nouvelles technologies au sein de son entreprise doit avoir au préalable proposé les actions de formation nécessaires à ses salariés si besoin.

Besoin d'une formation CSE / SSCT ? Billetterie ? Compte rendu ? Site Web ? Assistance ou un besoin spécifique ?

Quel est le rôle du CSE en cas d’implémentation de l’IA au sein de l’entreprise ?

En plus, des cas de plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) où le CSE doit être consulté, les élus vont avoir un rôle important à jouer dans le cadre de leurs consultations annuelles obligatoires et exceptionnelles pour préparer l’introduction de l’intelligence artificielle.

Le recours à l’expertise

À l’heure actuelle, les projets de déploiement de l’IA au sein des entreprises correspondent à des automatisations de certaines tâches ou à la transformation de certaines activités.

Dans ces cas, le CSE doit être consulté et dès lors peut faire appel à un expert habilité, car cela correspond bien à un cas d’introduction de nouvelles technologies ou à un projet important modifiant les conditions de travail ou celles de santé et de sécurité.

Il n’est pas obligatoire pour demander une expertise que les deux critères précédents (introduction d’une nouvelle technologie et répercussions sur les conditions de travail) soient présents.

En effet, le Tribunal judiciaire de Pontoise dans un jugement du 15 avril 2022 (RG 22/00134) a estimé que l’introduction d’un logiciel nouveau d’intelligence artificielle, absent au sein de la société, justifie à elle seule, le recours à l’expertise par le CSE.

Consultations annuelles et IA

Le sujet de l’IA est un sujet à la fois récent et complexe. Il peut être abordé au cours des 3 consultations annuelles du CSE, où les élus pourront et devront poser des questions à ce sujet afin de comprendre la relation entre l’intelligence artificielle et leur entreprise et les projets de l’employeur à ce sujet pour le futur.

Par conséquent, le déploiement de l’IA dans les entreprises va donc nécessiter un dialogue social de qualité afin d’accompagner au mieux les mutations du monde du travail. Les élus y auront donc un rôle central afin que les conséquences de ces nouvelles technologies soient positives pour les salariés.

L'IA, un support pour le CSE

Les différents types d’IA dans l’entreprise et exemples d’utilisation

Dans les entreprises, on peut retrouver différents types d’IA.

Type d’IA

Exemple d’utilisation en entreprise

L’IA basé sur les règles

Chatbots, gestion des ressources humaines, automatisation de processus simples

L’IA faible

détection de fraudes, recommandations de produits, analyse financière

L’IA forte

automatisation de processus complexes, prise de décision stratégique

L’apprentissage supervisé

prédiction de tendance

L’apprentissage non supervisé

segmentation de la clientèle, optimisation de chaînes de logistique

L’apprentissage par renforcement

prise de décision au sein d’environnement dynamique

L’apprentissage profond

reconnaissance vocale, traduction automatique

Exemples d’application de l’IA en fonction de certaines branches professionnelles

De par les tâches à accomplir, certains secteurs professionnels vont être plus impactés que d’autres par l’IA.

En effet, les travailleurs manuels vont , par exemple, être moins concernés que les postes administratifs qui vont être beaucoup plus touchés par l’automatisation des tâches.

Certains secteurs vont ainsi être plus impactés :

  • La santé, où on l’observe déjà et où le phénomène va fortement s’amplifier avec une utilisation de l’IA pour l’aide au diagnostic et à la prescription, la robotisation de gestes chirurgicaux ou encore de l’automatisation de la lecture d’imagerie médicale.
  • Les transports, avec l’utilisation de l’IA afin d’améliorer la circulation des véhicules, de gérer la maintenance prédictive des équipements et autres, qui va sans doute aboutir à des véhicules autonomes ou à la conduite automatique en convoi.

IA et ressources humaines

L’IA peut être utile aux ressources humaines en permettant d’effectuer certaines tâches plus rapidement. 

  • Elle peut, par exemple, être utilisée pour sélectionner des candidats. Certains logiciels RH incluent l’IA pour assurer un recrutement plus efficace. À cette fin, il est possible de les paramétrer pour trier les CV en fonction de certains critères et en fonction de compétences et d’aptitudes nécessaires à un bon épanouissement dans le poste.
  • L’intelligence artificielle peut également servir à l’automatisation de tâches administratives sans plus value pour la personne qui en est chargée. Il peut s’agir de la gestion de la paie, du temps de travail, etc.
  • On peut également citer l’utilisation de l’IA dans la gestion des talents et des compétences. Pour cela, l’IA peut encourager le développement de certaines compétences des salariés en proposant des formations. Il est possible par ce biais de mettre en évidence des profils de salariés et des postes internes adaptés à leurs compétences et à leurs attentes.

IA et prévention des risques professionnels

L’IA peut servir la prévention des risques professionnels de manière positive.

Elle peut, par exemple :

  • Analyser les données sur les accidents et les incidents, afin de permettre de mieux en comprendre les causes et ainsi de pouvoir mettre en place des mesures de prévention efficaces.
  • Utiliser la vidéo pour identifier des comportements à risque, des postures de fatigue ou de stress afin d’aider les salariés en leur donnant des alertes en temps réel.
  • Analyser les vidéos afin de détecter des situations dangereuses. Il peut s’agir, par exemple, de détecter une personne dans une zone machine, de vérifier le bon port des EPI, etc.
  • Améliorer les programmes de santé et bien-être à destination des salariés en se basant sur l’analyse de données par l’IA.

IA et communication du CSE

L’intelligence artificielle peut aider à l’amélioration de la communication du CSE de différentes façons.

  1. En premier lieu, les élus peuvent avoir recours à l’utilisation de chatbots pour répondre aux questions du personnel de l’entreprise. Cependant, attention à la façon dont ils seront paramétrés. En effet, en matière juridique, les chatbots comportent encore de nombreuses inexactitudes et peuvent induire en erreur les salariés. Il peut donc être intéressant de les réserver pour les questions « de base » afin d’avoir plus de temps à consacrer pour celles plus complexes.
  2. Dans un second temps, l’intelligence artificielle peut aider les élus à analyser des résultats d’enquêtes de satisfaction ou les feedbacks des salariés. Cette utilisation peut vraiment être utile et éviter une action qui reste chronophage afin de pouvoir consacrer plus de temps à la mise en place d’action qui découlent de ces études.
  3. Enfin, l’IA peut aider à la prise de décision par l’analyse de données. En effet, cela peut permettre de cibler des actions sur un service en particulier de l’entreprise ou sur une catégorie de personnel qui présenteraient des risques particuliers d’accident du travail par exemple.

IA pour le développement durable

De manière générale, l’IA peut aider à une gestion intelligente de la consommation d’électricité. En effet, elle peut analyser les données énergétiques et ainsi donner des pistes d’optimisation de la consommation d’énergie afin de réduire les gaspillages et les émissions de carbone. Elle peut également surveiller et contrôler en temps réel la consommation et détecter des anomalies.

De même, l’IA peut aider à prédire et prévenir les catastrophes naturelles grâce à l’analyse de données. Ainsi, les algorithmes d’apprentissage automatique vont pouvoir identifier des schémas et des facteurs de risque, ce qui va permettre une meilleure planification et une réponse plus rapide en cas de catastrophe.

Par extension, l’intelligence artificielle offre donc plusieurs perspectives pour les CSE, notamment, en matière de développement durable.

L'IA aide les élus du CSE

Les limites et défis de l’IA pour le CSE

Comme toute technologie récente, l’IA possède des limites et nécessite d’être vigilant sur certains points.

La confidentialité et la sécurité des données collectées par intelligence artificielle

Un premier point crucial pour les utilisateurs de l’IA est de s’assurer de la confidentialité et de la sécurité des données. Pour cela, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a émis des recommandations et fournit des outils aux particuliers comme aux professionnels. 

Ainsi, les utilisateurs d’IA doivent s’assurer que le logiciel qu’ils utilisent gère la confidentialité des données avec, par exemple :

  • Une anonymisation et une agrégation des données.
  • Une minimisation des informations, en ne collectant que celles qui sont nécessaires.

De plus, il est nécessaire de prendre en compte les mesures de sécurité qui sont prises par les développeurs afin de vérifier leur robustesse contre les accès non autorisés et les fuites de données.

Besoin d'une formation CSE / SSCT ? Billetterie ? Compte rendu ? Site Web ? Assistance ou un besoin spécifique ?

La discrimination par le biais des algorithmes

Il est également nécessaire de prendre en compte le risque de biais et de discriminations dans les algorithmes. 

En effet, de multiples raisons peuvent aboutir à ce type de situations, il peut s’agir par exemple des :

  • Algorithmes eux-mêmes qui vont présenter des failles liées à leur conception.
  • Données utilisées pour l’apprentissage qui peuvent être non représentatives ou refléter un caractère discriminant existant dans « la réalité » (par exemple, la reproduction de discrimination liée à l’âge ou à l’écart salarial entre les femmes et les hommes).

Par exemple, lors d’un de ses contrôles, la CNIL a constaté des biais discriminatoires d’un organisme utilisant un système d’évaluation automatique de CV vidéo. En effet, le système devait reconnaître des compétences de savoir-être, mais éliminait systématiquement les candidats dont il ne comprenait pas l’accent.

Les formations et l’adaptation des salariés

Les élus du CSE qui vont être au cœur de la démarche de l’intégration de l’IA au sein de l’entreprise doivent également être à jour sur cette thématique qui peut paraître complexe et générer des peurs.

Ainsi, il est fort probable qu’ils soient sollicités afin de sensibiliser les salariés aux enjeux et aux opportunités de l’IA, mais également à répondre à leurs inquiétudes.

C’est pourquoi il paraît judicieux que les élus du CSE puissent suivre une formation afin d’étudier :

  • Les implications et les limites de l’IA.
  • L’impact sur les conditions de travail et sur le développement durable.

Le déploiement de l’IA dans les entreprises va donc nécessiter un dialogue social de qualité afin d’accompagner au mieux les mutations du monde du travail. Les élus y auront donc un rôle central afin que les conséquences de ces nouvelles technologies soient positives pour les salariés.

Nos autres articles